jeudi 25 novembre 2010

L'apprenti sorcier Bertrand Chamayou

…. Ou l’apprenti sorcier qui dompte le piano !


Mardi 7 septembre, dans le cadre du Festival de piano aux Jacobins, crée il y a 30 ans et le premier du genre, Bertrand Chamayou nous a offert le plus déconcertant des concerts, nous permettant ainsi de mieux saisir les apports de la musique contemporaine.

Le lieu tout d’abord : les anciens abattoirs de Toulouse-devenu Musée d’art moderne-une grande nef et ses absidioles pourrions-nous dire.
500 personnes présentes, d’une écoute formidable. Pas de chaises. Une lente déambulation pour tous, de piano en piano, au fur et à mesure que notre pianiste choisissait celui lui permettant d’interpréter la partition retenue. Aux murs, des toiles de Morellet, Fontana, Soulages, Sam Francis, George Rousse, Casio Shiraga, Emilio Vadova et Domenico Bianchi.
 
Domenico Bianchi
 En fait, « ayant eu carte blanche pour imaginer un projet hors-du-commun », Bertrand Chamayou a « voulu transformer l’idée même de ce qu’est unconcert en une sorte d’exposition éphémère », « transposant les principes d’une exposition dans l’univers musical », cela lui permettant d’établir un parallèle entre les nouveaux codes de la peinture abstraite , et ceux de la création musicale depuis l’après-guerre. Pari plus que réussi.

Déambulant, nous pouvions nous recueillir seuls dans un coin ou aller près d’un piano pour apprécier le jeu de l’artiste, voire se laisser hypnotiser par son jeu, l’exécution musicale étant filmée en temps réel et rétro-projetée dans les salles adjacentes.

Le programme maintenant : 15 morceaux de musique, de Stockhausen à Thomas Adès.

80 mn de piano, les pièces étant enchaînées les unes aux autres, un continuum qui captait notre attention…tout en nous déconcertant parfois, la difficulté étant de saisir à quel moment le passage de l’une à l’autre se faisait. Et Bertrand Chamayou se déplaçant d’un piano à l’autre, une bande son faisant la transition.

En introduction tout d’abord, des sonorités de gong dans un registre grave et de cymbales antiques dans l’aigu. Le côté méditatif inspiré des rituels tibétains nous a de suite permis d’aller vers notre intériorité et de laisser place à une disponibilité totale pour la musique choisie. Celui qui nous a permis cela est Giacinto Scelsi avec son œuvre Bot-Ba de 1952

Et, si je peux me permettre de citer les morceaux qui m’enthousiasmèrent je nommerai le Klavierstück V (1954) de Stockhausen. Sa force venant de l’alternance de longs silences, densification et dissolutions de particules sonores. Les contrastes nous interpellaient fortement.

piano préparé
Morning Music (1972) de George Crumb, une musique puissante évoquant la Genèse jouée sur un piano « préparé » le son du piano étant modifié par la pose sur les cordes de feuilles de papier, d’où une impression de son inconnu.
Dans cet esprit de piano « préparé », mentionnons Primitive (1942) de John Cage, vis et boulons, à nouveau dans les cordes, donnant des sons d’instrument à percussion !
piano préparé
Hommage à Berényi Ferenc 70 (1997) de György Kurtag , musique aux confins du silence jouée sur un petit piano dont les cordes étaient étouffées par une super sourdine. Beaucoup de délicatesse, de poésie rêveuse. Tout cela devant une très belle photo de George Rousse.
A nouveau de George Crumb, Intermède d’après son Vox Balaenae (1971), évocation du raga indien par pincements de cordes et vibrations nées de l’apposition de morceaux de métal. Le tout compété par des vocalises générées par l’application de ciseaux sur les cordes, ce qui donnait un son cristallin.

Darknesse visible (1992) de Thomas Adès, transcription « éclatée d’une chanson pour voix et luth de John Dowland (fin XVIe siècle) nous surprenait par ses dynamiques extrêmes, ses changements de registre, ses recherches sonores avec trémolos. Une œuvre s’inscrivant dans une magnifique continuité de la musique ancienne avec sa personnalité XXe siècle.

Pour clore cette soirée toute de surprises et d’émerveillement à une écoute nouvelle de sons si travaillés, nous citerons Le Tombeau de Messiaen (1994) de Jonathan Harvey. Le jeu pianistique de Bertrand Chamayou était mixé avec la bande d’un piano retravaillé en studio. Des sons de cloche en fin de partition nous ont d’autant plus surpris que la conclusion fut explosive.

Bertrand Chamayou interpréta également des œuvres de Wolfgang Rihm, de Luigi Nono, Olivier Messiaen, John Cage, faisant de son programme un moment d’une intensité exceptionnelle.

Toutes ces recherches du XXe siècle sur les sons nouveaux étaient merveilleusement rendues en ces Abattoirs à l’acoustique curieusement tout à fait bonne.

Merci aux organisateurs de ce Festival de piano dit « Piano aux Jacobins », le premier crée en France après la guerre ! Et comment remercier Bertrand Chamayou de nous conduire avec une telle intelligence sur les voies de la musique dite « contemporaine » !

Jean-Michel Basquiat, L’urgence de dire, l’urgence d’être reconnu

Peu d’artistes de ces 50 dernières années font l’objet d’appréciations aussi contrastées.
Certains vous disent le trouver formidable, d’autres le considèrent comme insignifiant, voire médiocre.
Certains y voient une urgence intérieure à peindre, une explosion d’énergie créatrice, d’autres n’y voient que gribouillages.
Bref Jean-Michel Basquiat dérange. Le mythe de l’artiste des rues disparu avant la trentaine, appartenant à la communauté noire américaine, perdure et occulte sans doute la force percutante de son travail.
Pourtant, cet homme multiple, porteur de toutes les sensibilités urbaines de son époque, annonce nombre d’artistes d’aujourd’hui ( graffeurs, BD/peinture, expressionnisme social par exemple).

Sa rencontre avec Warhol ne peut être le fruit du hasard. Les deux hommes si perméables à leur environnement newyorkais sauront, mieux que quiconque, y trouver la source profonde de leur inspiration et expression.

Pulsante, au rythme des divers courants Underground, du jazz, et d’aspects plus sombres, New York révéla Basquiat à lui-même, ses fameux graffiti signés SAMO apposés dans les endroits stratégiques des quartiers de Lower Manhattan, sur les taudis comme près des galeries de Soho le faisant dans le même temps connaître de tous. Chacun se demandait qui était derrière tout cela ! Immergé dans la pauvreté extrême, la violence, l’injustice, le racisme… il donnera un tour très politique à ces graffiti que l’on retrouvera ultérieurement dans ses peintures.

Se faire connaître, se faire admettre dans sa riche singularité de Noir pour ensuite s’exprimer par des peintures d’une rare fulgurance.

Très vite, en effet, dès 1982, à 22 ans, il est sollicité par la galeriste Annina Nosei pour une première exposition personnelle. L’année suivante, il participe à la Biennale du Whitney Museum et est exposé à Bâle par E. Beyeler !
En 1984, il connaît un succès retentissant lors de son exposition à la galerie Mary Boone/ Michaël Werner de New-York. Enfin, le très influent Bruno Bischofberger qui le suivra ensuite tout au long de sa carrière (en fait seulement huit ans) monte l’exposition Collaborations : Basquiat, Clemente, Warhol à Zürich.

L’exposition présentée au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris permet, enfin, de découvrir l’ensemble de son œuvre. Seules deux toiles sont présentes dans les collections publiques françaises, au Centre Pompidou à Paris et au Musée d’Art moderne de Marseille !

Dès l’entrée dans les premières salles du Musée, on est saisi par l’ampleur et la force de sa peinture : caractère synthétique de ses traits expressifs et densifiés à l’extrême, non complaisance quant au sujet, talent à trouver les justes accords de couleurs.

De cet œuvre protéiforme, qui vous prend à l’estomac, on retient que dès ses premières toiles il se méfie du « trop beau » et que comme Beckett qu’il a beaucoup lu, il cherche à aller vers un art dépréciatif, trouvant une aisance et une forme de résistance dans le processus construction/déconstruction.

Cy Twombly et ses « griffures, ratures et mots aux évocations étranges », Burroughs et ses « mots coupés-collés », les séries télé, les bandes dessinées, l’art brut de Jean Dubuffet et en particulier ses « dessins d’enfant », les tableaux aux inclusions multiples de Rauschenberg, la joyeuse liberté de Picasso, l’ont convaincu de l’importance de se donner une totale liberté dans le processus créatif. A l’instar des plus grands, il présente une implacable capacité à assimiler le meilleur pour l’intégrer dans son travail auquel il donne un tour très personnel et nouveau, car magistralement enrichi des cultures haïtienne et africaines.
L’homme très cultivé, lecteur depuis l’enfance de livres d’art et visiteur non moins assidu des grands musées newyorkais, s’inscrit dans le grand courant de l’Histoire de l’art.
Voilà certainement l’un des apports majeurs révélés par cette exposition rétrospective.

Si, les sujets sont souvent les mêmes, visages tels des masques, crânes tels des Vanités, boxeurs célèbres, guerriers puissants ou portraits christiques portant couronne, succession répétitive de mots sibyllins procédant parfois des « cadavres exquis », la présentation chronologique de ses toiles montre bien que leur traitement pictural va évoluer sur les huit années.

A noter qu’une salle réservée à ses dessins montre que nombre d’entre eux sont des dessins préparatoires. Donc la fulgurance d’exécution (plus de 1000 toiles et 2000 dessins sur 8 ans) est souvent précédée de réflexions et mise en page diverses. L’homme réfléchit avant de peindre.

Dans la première salle, Untitled (skull) de 1981 nous atteint violemment. Un crâne surdimensionné (d’un homme noir ?) occupant l’ensemble de la toile, aux traits très fouillés, en rapport avec les dessins ‘d’écorchés’ scientifiques qui offrent à voir intérieur et extérieur, se projette vers nous dans la violence de ses couleurs, cicatrices, repeints, cheveux-clous. Allusion au Christ ?


 Untitled (Skull), 1981

Quelques mètres plus loin, Untitled (two heads on Gold) 1982, présente un double portrait en dyptique, à guche Basquiat, à droite Warhol. Ce dernier racontera que Basquiat le lui fera porter deux heures après leur première rencontre… Stridence des verts s’opposant à la richesse des parties peintes en or, prééminence des cheveux/coiffe hérissés, traits dessinés à la craie grasse blanche formant masque et impossibilité à aller au-delà, la confrontation est rude tant plastiquement que sociologiquement !


Two heads on Gold, 1982

Plus loin, les tourbillons chaotiques donnent une lecture complexe de ses toiles. Portant en lui le statut de l’homme noir américain, Basquiat fait de « son identité fragmentée » l’épicentre de sa production.

Undiscovered Genius of the Mississippi Delta, 1983, se déploie sur plus de 4 m de long. Textes/mots, figures, ébauches diverses nous plongent dans le Deep South, ses champs de coton et ses esclaves. Une écriture faussement frustre pour traduire la dureté de traitement.


Undiscovered Genius of the Mississippi,1983

Hollywood Africans, 1983, nous parle de gangstérisme, de tabac, pop corn, sucre de canne, et d’improbables stars africaines. Une lecture volontairement brouillée ?


Hollywood Africans, 1983

Per Capita, 1981, indique sur la gauche ce que les Blacks gagnaient mensuellement dans chacun des Etats cités, l’homme central affublé d’un caleçon de la marque Everlast se positionnant en E Pluribus, soit le Christ parmi les siens, sa grande auréole amplifiant le propos.

Per capita, 1981
Viendra ensuite sa période de collaboration avec Warhol, le galeriste Bischofberger leur ayant suggéré de faire des toiles à deux. Coup de bluff ? Confrontation fructueuse ? Qui tire le mieux parti de cette collaboration ? Warhol avec ses sérigraphies intégrées à l’écriture picturale de Basquiat, ou ce dernier cherchant à apparaître au premier plan de la toile, quitte à prendre un malin plaisir à recouvrir les traces de Warhol ? Le génie de la Pop et de ses œuvres clean face à la frénésie picturale de son cadet, il fallait pour l’un comme pour l’autre oser.

La critique sera sévère et conduira à la brouille des deux hommes. Aujourd’hui, ces deux façons d’appréhender une époque prennent un nouveau sens en s’inscrivant dans le courant de l’histoire de l’art.

Les deux dernières salles montrent un travail allant en deux sens opposés, précurseur d’une nouvelle période ?

Ainsi une toile comme Light Blue Movers, 1987, frappe par son économie de moyens. Un fond blanc, neutre, deux déménageurs –blacks- dans l’effort du transport d’un lourd fauteuil, cela engendrant souffle colérique et pensées négatives, et, dans le bas de la toile, une allusion à la pesanteur de pieds chargés de la valeur monétaire de ce lourd meuble…


Light Blue Movers, 1987

Keep Frozen, 1987, deux policiers armés, deux pingouins bras levés : l’artiste joue froidement du jeu de mots « Keep Frozen » qui dans l’argot des flics newyorkais signifie « bras levés » ! et de ces deux malheureux, pauvres pingouins de s’être laissés prendre dans les rets de la police.


Keep Frozen, 1987

De même, les pattes d’oiseau dessinées sur nombre de toiles des années 2007-2008 ont-elles une signification particulière, les sans-abri newyorkais inscrivant ce sigle au-dessus d’emplacements où certains d’entre eux avaient trouvé la mort. Un avertissement pour la communauté.
En fait, il apparaît aujourd’hui, au regard des expositions rétrospectives qui lui sont consacrées, que Basquiat a encore beaucoup de choses à nous révéler. Ses phrases, ses mots empruntent à nombre de cultures différentes, et seul le temps permettra peut-être d’en « démêler l’écheveau ».

Comment, en effet ne pas nommer ainsi le dernier tableau de l’exposition Untitled 1987,
Rébus et marelle de mots appartenant tant au monde des sans-abri qu’au vocabulaire corporel et nombreuses répétitions encadrées, raturées, répétées donnant un sentiment d'étouffement. On y plonge, l’on ne sait quand on en ressort !


Untitled, 1987
Courez voir cette exposition. L’œuvre de Basquiat aussi bref que titanesque est un « marqueur » de l’expression contemporaine. Et… il avait pour « pairs » les artistes Pop et Minimalistes, ce qui, en soit, en dit long sur son cheminement aussi vital qu’unique.














vendredi 3 septembre 2010

Paul Klee et Ernst Beyeler à l’Orangerie, ou la rencontre de deux hommes hors mode.

Domes

La rencontre réelle entre ces deux hommes, artiste et galeriste, ne se fit en fait  jamais, mais   par la magie de leur sensibilité commune, ils  offrent à notre regard  une collection aussi émouvante que magnifiquement originale.

Ernst Beyeler, né à Bâle, et libraire de livres anciens, avant de devenir marchand d’art en 1945,  ne rencontra en effet jamais Paul Klee, revenu à Berne en 1933, après la fermeture par les autorités allemandes du Bauhaus, une école  d’art unique par  l’ampleur des disciplines proposées, créée en 1919 à Weimar puis  déménagée à Dessau.

Paul Klee mourut en 1940, et si Ernst Beyeler connaissait son travail, ce n’est qu’à partir du début des années 50 qu’il commença à acquérir certains de ses dessins et peintures auprès de collectionneurs privés suisses et allemands. Très vite,  il eut l’intime conviction que son œuvre, unique,  serait l’un des jalons essentiels de l’art du XXè siècle ; son infinie passion pour cet homme  fit que plus de 600  aquarelles, dessins et peintures passèrent entre ses mains,  un fait unique.


La force particulière de l’œuvre de Paul Klee tient peut-être au fait  qu’il mena vraiment  de front son activité de peintre et celle d’enseignant au Bauhaus, lieu de toutes les expérimentations.
  Ainsi, après avoir été au contact de l’art impressionniste lors d’un voyage à Paris en 1905, avoir participé au Mouvement du Cavalier Bleu à Berlin et  eu la révélation de la couleur lors d’un voyage en Tunisie, Paul Klee intègre,  à la demande de son fondateur Walter Gropius,  l’école du Bauhaus en 1921 où il enseignera dans les ateliers   de reliure,  de  peinture sur verre, et  de tissage. Il  écrira aussi des ouvrages destinés à ses élèves  et traitant de  la couleur, de la composition,  etc…

Dans le même temps, il développe  une œuvre de peintre, si personnelle dans son expression plastique que l’on ne lui connaît pas vraiment  de successeur ou d’école apparentée. Là où certains s’exprimaient dans de grands formats, avec des recherches appuyées tant dans le choix des sujets que dans leur traitement, lui choisira la voie des petits formats, les subtilités de l’aquarelle, de la poétique des sujets, sans toutefois renoncer aux avancées de la science en matière d’optique ou des lois de la physique par exemple.
Chacun de ses titres était choisi avec une attention extrême, et d’ailleurs, très tôt, il dressa un catalogue de ses œuvres, y incluant même à dessein certains de ses travaux d’enfant afin de témoigner de la richesse de la pulsion créatrice originelle et de la spontanéité.

La force de l’exposition présentée au Jeu de Paume à Paris ? :
Les choix très marqués d’Ernst Beyeler ! En effet, ce dernier eut toujours une attirance toute particulière pour les œuvres tardives des artistes, que ce soit Picasso, Matisse ou Klee. Il y trouvait une liberté d’expression sans égale.
Pour Klee, les formats iront grandissants, la peinture prendra le pas sur les aquarelles, le propos sera plus grave, moins poétique, la facture plus affirmée, de grands traits ou signes noirs grifferont la toile, prenant la place des mystérieuses déambulations antérieures. Les couleurs seront plus violentes.
En regard de la violence de la guerre imminente, de son retour forcé en Suisse, de la maladie qui ne cessera de l’assaillir.


  




Les œuvres présentées, 27 provenant de la Fondation Beyeler et quelques unes passées par la Galerie,
-remarquables par leurs qualités, sont pour la plupart datées de 1930 à 1940, mais  quelques aquarelles des années  1910 à 1930 permettent de prendre connaissance de l’ensemble de son évolution.

Comment ne pas se délecter devant La Lune est là, haute et resplendissante (1916) où la subtilité des couleurs aquarellées le dispute à la graphie des lettres, ne pas rester émerveillé devant La Chapelle
( 1917), aquarelle sur détrempe blanche, à la construction si complexe et aux profondeurs troublantes, ne pas être littéralement absorbé par les bleus « magnétiques » et la naïve irréalité de Paysage du passé (1918) ; on peut aussi se confronter à la dualité de Avant l’Eclair (1923) où la force antagoniste des flèches s’inscrit dans un lent travail de quadrillage et mise en couleurs, avant de plonger dans les
huiles pointillistes du début des années 30, en écho à l’écriture musicale de Bach, Une Etoile se lève (1931), et de découvrir les œuvres de plus en plus sombres de la dernière décennie. Après l’Inondation (1936) aux signes noirs formant grillage, Sorcières dans la Forêt, dernière acquisition d’Ernst Beyeler,
aux rouges enflammés et au dessin faussement naïf,  Un Porche (1939) symphonie de gris et blancs ouvrant à l’au-delà, on reste bouche bée devant Captif (1940) œuvre testamentaire de Klee, inachevée, un œil tourné vers l’intériorité, l’autre toujours présent au monde.

La scénographie proposée est des plus intelligentes car discrète, les textes aussi instructifs que lisibles, le tout étant agrémenté d’un très bon petit film à ne pas manquer.

Un seul regret : qu’il n’y ait pas un panneau explicatif des différentes techniques développées par Paul Klee tel que les « dessins timbrés à l’encre », « les substituts de détrempe », ou  les « aquarelles avec décalque à l’huile sur papier et carton » comme dans la Machine/boîte à musique. On sait en effet, par ses écrits, que Paul Klee attachait la plus grande importance à l’élaboration de nouveaux moyens techniques d’expression, et, en cela, il était bien un homme du Bauhaus !

Et, cerise sur le gâteau, à  la sortie, après vous être plongé dans les différents ouvrages proposés sur Paul Klee et Ernest Beyeler, portez votre attention sur un non moins remarquable ouvrage sur le Bauhaus de Boris Friedewald, aux éditions Prestel…en anglais, mais fort bien illustré. Voilà, peut-être la meilleure manière de pénétrer dans l’univers de Paul Klee !
A noter, également, l’excellente vidéo produite par Arte, Paul Klee, le Silence de l’ange de Michel Gaumnitz

Informations pratiques :
Dates de l’exposition : 14 avril au 19 juillet 2010
Lieu : Musée National de l’Orangerie, jardin des Tuileries, Paris 1er
Téléphone : 01 44 77 80 07
Heures d’ouverture : tous les jours, de 9h à 18h, sauf le mardi
Adresse du site : www.musee-orangerie.fr : vous y découvrirez dates et heures des visites-conférences et ateliers pour enfants.
A découvrir de même :
La Fondation Beyeler, à Riehen/Bâle. Téléphone : +41 (0)61 645 97 00. Informations : +41 (0) 61 645 97 77
Le Zentrum Paul Klee, musée totalement dédié par la Fondation Klee à l’œuvre de Paul Klee, à Berne. Téléphone : +41 (0)31 359 01 01
  


 
   

mercredi 30 juin 2010

La coulée verte EPINETTES BATIGNOLLES


Ne la cherchez pas dans les guides, vous ne la trouverez pas. Elle existe bien pourtant à l’extrême nord-ouest du XVIIème arrondissement, coincée entre la colline Montmartre, le périphérique et l’aristocratique Monceau.

Elle se mérite à partir du métro Brochant et permet de faire un grand écart entre les initiatives utopiques et romantiques des architectes du milieu du XIXème siècle et les ambitions écologiques de ceux du XXIème.

Dans le quartier improbable des Epinettes au nom évocateur des « épines » dont il était recouvert avant la révolution industrielle et peu attractif car toujours associé dans l’esprit des parisiens à des activités industrielles et un habitat populaire, elle commence par la Cité des Fleurs.

Cette voie privée au nom prometteur ne vous décevra pas. Une porte métallique vous y donne accès rue de la Jonquière (de 7h à 19h du lundi au samedi et de 7h à 13h les dimanches et jours fériés). Vous y découvrez un ensemble arboré de 300 mètres rythmé de maisons et d’hôtels particuliers noyés dans la verdure. Des architectes avant-gardistes ont construit en 1850 ce village dans la ville, sur la base d’un cahier des charges dont la rigueur qui prévoyait l’alignement des façades, le nombre d’étages, la hauteur des murs mitoyens, la disposition des cours et jardins, les arbres obligatoires, les murets extérieurs rehaussés de grilles de clôture, les pilastres en pierre de taille surmontés d’un vase Médicis réussit à conjuguer originalité de chaque lot et harmonie de l’ensemble.

A la sortie de cet univers poétique suranné, vous traversez l’avenue de Clichy et quittez les Epinettes pour les Batignolles, village où se sont succédé, sur plusieurs siècles, réserve de chasse, fermes, résidences secondaires, halles de fret ferroviaire. Celles-ci ont laissé la place aujourd’hui à un espace vert d’un nouveau type : le parc Clichy-Batignolles –Martin Luther King (entrée 147, rue Cardinet) qui s’inscrit tant par son nom que par sa conception dans les grands défis du XXIème siècle. Les arbres et la végétation y déclinent les saisons, l’eau récupérée alimente autour des minicollines les bassins et les canaux paysagers, les familles se sont approprié les pelouses et les chaises longues ainsi que les nombreux espaces sportifs et ludiques, la conservation d’éléments historiques respecte la mémoire du lieu. Il est l’un des plus vastes et modernes parcs de la capitale.

Après ce bain de modernité, vous vous prendrez pour Lamartine, Musset ou Vigny au square des Batignolles. Son parcours romantique a tous les attributs des jardins anglais : vallonnements, grotte, rivière, cascade, lac miniature, ponts, plantations exotiques. Vous y taquinerez et nourrirez cygnes noirs, colverts, foulques et vous aurez envie d’y chanter avec Barbara qui a donné son nom à une allée qui traverse le parc, le goût de l’eau, le goût du pain et celui du perlimpinpin dans ce jardin des Batignolles…

Annie CLAIR/30 juin 2010

mardi 18 mai 2010

Variations sur le thème des "demoiselles d'avignon"

Demoiselles d’Avignon ? Vous avez dit « Demoiselles d’Avignon » ? Bien sûr, vous pensez à celles de PICASSO, à leur inscription dans l’histoire de l’art comme point de départ du cubisme avec leurs corps déformés faits de segments, d’angles vifs et de courbes dans un camaïeu d’incarnat. Son titre fait oublier qu’il ne s’agissait pas de demoiselles mais de prostituées et que les dites demoiselles n’étaient pas d’Avignon mais de Barcelone.

PICASSO lui a donné le nom de « El Burdel de Avinon », en souvenir du « Carrer d’Avinyo » (la rue d’Avignon), rue chaude de Barcelone près de laquelle il vivait jeune et où il achetait ses papiers et ses aquarelles. Le nom définitif de ce tableau volontairement inachevé par l’artiste et considéré comme l’un des plus importants de l’histoire de la peinture en raison de la rupture stylistique et conceptuelle qu’il propose a été attribué par André SALMON en juillet 1916 à l’occasion du Salon d’Antin. Cette nouvelle dénomination agaçait fort PICASSO qui revendiquait son titre d’origine.

Même mystère avec ces étranges aiguières pansues en terre cuite vernissée, vertes, brunes, jaunes ou blanches, ornées de rosettes rehaussées d’or ou de polychromie, aux anses souvent torsadées qu’on nomme aussi « demoiselles d’Avignon ». Si le bec verseur en forme d’oiseau ou de dragon stylisé permet d’en ranger certaines dans la catégorie des demoiselles, d’autres ont des attributs qui les rattachent plutôt au sexe masculin. D’ailleurs, le fin du fin est d’avoir des couples. Et elles ne sont pas plus d’Avignon que les demoiselles de Picasso. Elles sont en effet de CANAKKALE, en Turquie. A la fin du XIXème siècle, les armateurs de Marseille remplissaient leurs bateaux de produits français qu’ils exportaient vers ce pays et en revenaient chargés de céramiques ottomanes qui étaient ensuite vendues sur place. Il était du dernier chic dans les grandes familles bourgeoises provençales d’orner son intérieur de ces pièces. On raconte aussi que ces céramiques, femelle ou mâle selon que le bébé était une fille ou un garçon, servaient à offrir le sorbet aux visiteurs des jeunes accouchées.

Leurs rondeurs élégantes, généreuses, colorées et baroques furent appréciées d’artistes dont la signature est plutôt la rigueur. Ainsi, chantre des lignes horizontales et verticales, Le Corbusier les dessina et en avait posé une sur le bureau de son appartement parisien. Un article d’AD International sur l’appartement de New-York de Bob WILSON révèle aussi que ce grand metteur en scène minimaliste en est collectionneur.

Le lien entre les aiguières et leur dénomination ? Il est ténu et pourrait venir d’une commodité qui renvoie à une ancienne production de céramiques à Avignon aux XVIIe et XVIIème siècles.

Hasard ? Coïncidence ? Encore des « demoiselles d’Avignon » à Roubaix. Cette fois, ce sont celles de Jean-Pierre PINCEMIN dont l’œuvre fait l’objet jusqu’au 13 juin 2010 d’une rétrospective à « LA PISCINE », musée d’Art et d’Industrie de cette ville. L’exposition sera montrée ensuite à Angers et à Céret.

Artiste autodidacte (1944-2005), qui n’a cessé d’expérimenter les techniques et les supports, rattaché pendant un temps au groupe « Supports-Surfaces », PINCEMIN a construit de grandes sculptures en bois colorés récupérés assemblés les uns aux autres par agrafage qui vous accueillent dans le hall de la PISCINE et qui apparaissent comme un tissage artisanal fixé sur des squelettes. Les cartels annoncent « Sans titre » mais PINCEMIN aimait les appeler ses « Demoiselles d’Avignon ». On décèle en effet dans ces œuvres une volonté de renouvellement des formes qui s’inscrit dans les explorations et les découvertes de PICASSO et sans doute un hommage à ce dernier.

Donc, les « Demoiselles d’Avignon », une source d’inspiration, une révolution du langage artistique, des formes et des couleurs antidote à la rationalité, une tradition provençale émouvante. Finalement, une bien jolie dénomination pour un concept protéiforme qui mériterait d’être illustré, développé et décliné pourquoi pas en Avignon ?

mardi 27 avril 2010

27 avril 2010 Le bonheur est dans le design

Vous aviez prévu d’aller à Beaubourg. Pas de chance, vous avez trouvé porte close. Les gardiens ne sont pas en grève mais c’est tout simplement mardi, jour normal de fermeture de ce musée. Ne ragez pas, contentez-vous de vous retourner et de pousser une autre porte, fort lourde, celle du Centre Wallonie-Bruxelles, juste en face du Centre Pompidou. Vous y trouverez, à défaut de Lucian Freud et Sarkis, qui vous ont fait faux bond, « LE BONHEUR DANS LE DESIGN ».


Bien qu’exposé à la vue de tous sur l’agora qui donne accès au temple de l’art moderne et contemporain de Paris, ce lieu est secret. La presse est aussi discrète sur lui que sa façade enchâssée entre les restaurants de cuisine rapide et les marchands de cartes postales livrés à la convoitise ou à la lassitude des touristes qui l’ignorent. Pourtant, il réserve de belles surprises.

Celle-ci en est une : y est exposée jusqu’au 14 juin 2010 une sélection de pièces majeures de la collection de design de Grand-Hornu autour de grands noms de la scène internationale (Sottsass, Szekely, Bonnetti, Bouroullec, I.Maurer, J.Morrisson, M.Crasset, C. Grcic) et de jeunes talents prometteurs. Mis en scène sur un sol recouvert de miroirs, les meubles et objets se livreront à vous, de face, de côté, dessus, dessous, dans leurs moindres détails. Et, accompagné du rideau d’algues des frères Bouroullec, vous trouverez la lumière via quelques lampes insolites qui éclairent la caverne du fond.

Vous vous demandez ce qu’est le Grand-Hornu : c’est un ancien charbonnage représentatif du développement industriel du XIXème siècle. Situé à côté de Mons, dans la Belgique francophone, à la fois complexe industriel et cité ouvrière, il a été construit entre 1810 et 1830 dans le pur goût néo-classique et dédié à la création contemporaine depuis plus de 20 ans. Le programme d’expositions et de rencontres est alléchant.

Tout ce que vous voulez savoir sur ce lieu et ses animations est disponible sur accueil.site@grand-hornu.be

Mais n’attendez pas de prendre la route de la Belgique pour allez chercher votre acompte de bonheur au Centre Wallonie-Bruxelles (127-129 rue Saint-Martin 75004).

vendredi 23 avril 2010

LA LECON D’ARCHITECTURE DE LE CORBUSIER A PARIS

Vous n’ignorez sans doute rien des déclinaisons urbanistiques et architecturales de LE CORBUSIER à Marseille, à Firminy, de sa vision utopique selon laquelle « Là où naît l’ordre, naît le bien-être » et de sa place dans la reconstruction après la seconde guerre mondiale. Peut-être connaissez-vous aussi certaines de ses « villas blanches » où l’on voit se formaliser les cinq points de son langage architectural, les pilotis, le toit-terrasse, le plan libre, la fenêtre-bandeau, la façade libre?


Mais vous êtes-vous imaginé LE CORBUSIER à Paris, qui plus est chez lui, dans l’appartement-atelier qu’il s’est réservé aux deux derniers étages de l’immeuble Molitor qu’il a construit entre 1931 et 1934 dans le 16ème arrondissement, à proximité des grands stades et équipements sportifs parisiens et où il vécut jusqu’à sa mort en 1965 ? Dans cette opération ponctuelle, il teste ses propositions pour lui-même.

Ainsi, vous découvrirez au niveau 7, le lieu de travail et de vie conçu sur la base d’un plan libre avec des séparations mobiles destinées à isoler les deux espaces. L’atelier est installé sous une grande voûte blanche. Il ouvre sur le stade Jean Bouin par un pan de verre et est toujours inondé d’une lumière de contre-jour direct. Il est enrichi d’un coin bureau et d’un espace rangement. Le logis (cuisine, salle à manger, chambre) est agencé sur le principe du « casier », selon les codes esthétiques et avec les mobiliers standard qui équipaient les villas des années 20. Dans la chambre, vous pourrez y voir une curiosité : LE CORBUSIER y a installé son lit de manière à pouvoir admirer, en position couchée, le paysage de Boulogne au-dessus du parapet !!

De même, vous verrez comment le niveau 8 fait place au toit-jardin, aux extrados de la voûte du niveau inférieur ainsi qu’à une chambre d’amis.

Pièce après pièce, les photos de l’appartement habité par l’architecte ponctuent la visite. Attardez-vous sur celle posée sur son bureau : elle révèle une aiguière turque en céramique, dite « Demoiselle d’Avignon », toute en rondeurs sensuelles qui révèle le goût caché de cet amoureux des formes rigoureuses et dépouillées pour les poteries baroques et rustiques du bassin méditerranéen.

Paris vous réserve une autre surprise corbuséenne : toujours dans le 16ème arrondissement et dans un quartier qui fut, dans l’entre deux-guerres, un havre de chefs-d’œuvre de l’architecture moderne, deux maisons blanches mitoyennes vous attendent square du Docteur Blanche, au fond d’une élégante impasse arborée. Elles datent de 1923 et sont à la fois simples et déjà riches de la plupart du vocabulaire d’un des principaux représentants du « mouvement moderne ».

La première, construite pour le musicien Albert JEANNERET, frère de l’architecte, abrite la fondation LE CORBUSIER. La seconde, édifiée pour Raoul LA ROCHE, ami et collectionneur d’œuvres cubistes, se visite. A son propos, LE CORBUSIER évoque une « promenade architecturale », harmonie recherchée de prismes qui combine blanc, monochromie et polychromie ainsi que peinture, sculpture et architecture. C’est un témoignage de sophistication formelle et d’innovation technique mais aussi la maison d’un amateur d’art et un lieu agréable à vivre où vous aimeriez peut-être vous installer.



Adresses, accès et visites :

- Immeuble Molitor : 24, rue Nungesser et Coli 75016 – Paris lignes 9 et 10 stations Porte d’Auteuil ou Michel-Ange-Molitor. Bus PC1 arrêt Porte Molitor

Visite sur réservation au 01. 42.88.75.72 ou 01.46.03.32.90 le samedi de 10 à 12h30 et de 13h30 à 17h

- Villas : 8, square du docteur Blanche 75016 – Paris Métro Jasmin

Tel : 01.42.88.75.72

Ouverture le lundi de 13h30à 18h, du mardi au jeudi de 10 à 18h,

les vendredi et samedi de 10 à 17h.

Site : fondationlecorbusier.asso.fr