Demoiselles d’Avignon ? Vous avez dit « Demoiselles d’Avignon » ? Bien sûr, vous pensez à celles de PICASSO, à leur inscription dans l’histoire de l’art comme point de départ du cubisme avec leurs corps déformés faits de segments, d’angles vifs et de courbes dans un camaïeu d’incarnat. Son titre fait oublier qu’il ne s’agissait pas de demoiselles mais de prostituées et que les dites demoiselles n’étaient pas d’Avignon mais de Barcelone.
PICASSO lui a donné le nom de « El Burdel de Avinon », en souvenir du « Carrer d’Avinyo » (la rue d’Avignon), rue chaude de Barcelone près de laquelle il vivait jeune et où il achetait ses papiers et ses aquarelles. Le nom définitif de ce tableau volontairement inachevé par l’artiste et considéré comme l’un des plus importants de l’histoire de la peinture en raison de la rupture stylistique et conceptuelle qu’il propose a été attribué par André SALMON en juillet 1916 à l’occasion du Salon d’Antin. Cette nouvelle dénomination agaçait fort PICASSO qui revendiquait son titre d’origine.
Même mystère avec ces étranges aiguières pansues en terre cuite vernissée, vertes, brunes, jaunes ou blanches, ornées de rosettes rehaussées d’or ou de polychromie, aux anses souvent torsadées qu’on nomme aussi « demoiselles d’Avignon ». Si le bec verseur en forme d’oiseau ou de dragon stylisé permet d’en ranger certaines dans la catégorie des demoiselles, d’autres ont des attributs qui les rattachent plutôt au sexe masculin. D’ailleurs, le fin du fin est d’avoir des couples. Et elles ne sont pas plus d’Avignon que les demoiselles de Picasso. Elles sont en effet de CANAKKALE, en Turquie. A la fin du XIXème siècle, les armateurs de Marseille remplissaient leurs bateaux de produits français qu’ils exportaient vers ce pays et en revenaient chargés de céramiques ottomanes qui étaient ensuite vendues sur place. Il était du dernier chic dans les grandes familles bourgeoises provençales d’orner son intérieur de ces pièces. On raconte aussi que ces céramiques, femelle ou mâle selon que le bébé était une fille ou un garçon, servaient à offrir le sorbet aux visiteurs des jeunes accouchées.
Leurs rondeurs élégantes, généreuses, colorées et baroques furent appréciées d’artistes dont la signature est plutôt la rigueur. Ainsi, chantre des lignes horizontales et verticales, Le Corbusier les dessina et en avait posé une sur le bureau de son appartement parisien. Un article d’AD International sur l’appartement de New-York de Bob WILSON révèle aussi que ce grand metteur en scène minimaliste en est collectionneur.
Le lien entre les aiguières et leur dénomination ? Il est ténu et pourrait venir d’une commodité qui renvoie à une ancienne production de céramiques à Avignon aux XVIIe et XVIIème siècles.
Hasard ? Coïncidence ? Encore des « demoiselles d’Avignon » à Roubaix. Cette fois, ce sont celles de Jean-Pierre PINCEMIN dont l’œuvre fait l’objet jusqu’au 13 juin 2010 d’une rétrospective à « LA PISCINE », musée d’Art et d’Industrie de cette ville. L’exposition sera montrée ensuite à Angers et à Céret.
Artiste autodidacte (1944-2005), qui n’a cessé d’expérimenter les techniques et les supports, rattaché pendant un temps au groupe « Supports-Surfaces », PINCEMIN a construit de grandes sculptures en bois colorés récupérés assemblés les uns aux autres par agrafage qui vous accueillent dans le hall de la PISCINE et qui apparaissent comme un tissage artisanal fixé sur des squelettes. Les cartels annoncent « Sans titre » mais PINCEMIN aimait les appeler ses « Demoiselles d’Avignon ». On décèle en effet dans ces œuvres une volonté de renouvellement des formes qui s’inscrit dans les explorations et les découvertes de PICASSO et sans doute un hommage à ce dernier.
Donc, les « Demoiselles d’Avignon », une source d’inspiration, une révolution du langage artistique, des formes et des couleurs antidote à la rationalité, une tradition provençale émouvante. Finalement, une bien jolie dénomination pour un concept protéiforme qui mériterait d’être illustré, développé et décliné pourquoi pas en Avignon ?
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