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Domes |
La rencontre réelle entre ces deux hommes, artiste et galeriste, ne se fit en fait jamais, mais par la magie de leur sensibilité commune, ils offrent à notre regard une collection aussi émouvante que magnifiquement originale.
Ernst Beyeler, né à Bâle, et libraire de livres anciens, avant de devenir marchand d’art en 1945, ne rencontra en effet jamais Paul Klee, revenu à Berne en 1933, après la fermeture par les autorités allemandes du Bauhaus, une école d’art unique par l’ampleur des disciplines proposées, créée en 1919 à Weimar puis déménagée à Dessau.
Paul Klee mourut en 1940, et si Ernst Beyeler connaissait son travail, ce n’est qu’à partir du début des années 50 qu’il commença à acquérir certains de ses dessins et peintures auprès de collectionneurs privés suisses et allemands. Très vite, il eut l’intime conviction que son œuvre, unique, serait l’un des jalons essentiels de l’art du XXè siècle ; son infinie passion pour cet homme fit que plus de 600 aquarelles, dessins et peintures passèrent entre ses mains, un fait unique.
La force particulière de l’œuvre de Paul Klee tient peut-être au fait qu’il mena vraiment de front son activité de peintre et celle d’enseignant au Bauhaus, lieu de toutes les expérimentations.
Ainsi, après avoir été au contact de l’art impressionniste lors d’un voyage à Paris en 1905, avoir participé au Mouvement du Cavalier Bleu à Berlin et eu la révélation de la couleur lors d’un voyage en Tunisie, Paul Klee intègre, à la demande de son fondateur Walter Gropius, l’école du Bauhaus en 1921 où il enseignera dans les ateliers de reliure, de peinture sur verre, et de tissage. Il écrira aussi des ouvrages destinés à ses élèves et traitant de la couleur, de la composition, etc…
Dans le même temps, il développe une œuvre de peintre, si personnelle dans son expression plastique que l’on ne lui connaît pas vraiment de successeur ou d’école apparentée. Là où certains s’exprimaient dans de grands formats, avec des recherches appuyées tant dans le choix des sujets que dans leur traitement, lui choisira la voie des petits formats, les subtilités de l’aquarelle, de la poétique des sujets, sans toutefois renoncer aux avancées de la science en matière d’optique ou des lois de la physique par exemple.
Chacun de ses titres était choisi avec une attention extrême, et d’ailleurs, très tôt, il dressa un catalogue de ses œuvres, y incluant même à dessein certains de ses travaux d’enfant afin de témoigner de la richesse de la pulsion créatrice originelle et de la spontanéité.
La force de l’exposition présentée au Jeu de Paume à Paris ? :
Les choix très marqués d’Ernst Beyeler ! En effet, ce dernier eut toujours une attirance toute particulière pour les œuvres tardives des artistes, que ce soit Picasso, Matisse ou Klee. Il y trouvait une liberté d’expression sans égale.
Pour Klee, les formats iront grandissants, la peinture prendra le pas sur les aquarelles, le propos sera plus grave, moins poétique, la facture plus affirmée, de grands traits ou signes noirs grifferont la toile, prenant la place des mystérieuses déambulations antérieures. Les couleurs seront plus violentes.
En regard de la violence de la guerre imminente, de son retour forcé en Suisse, de la maladie qui ne cessera de l’assaillir.
Les œuvres présentées, 27 provenant de la Fondation Beyeler et quelques unes passées par la Galerie,
-remarquables par leurs qualités, sont pour la plupart datées de 1930 à 1940, mais quelques aquarelles des années 1910 à 1930 permettent de prendre connaissance de l’ensemble de son évolution.
Comment ne pas se délecter devant La Lune est là, haute et resplendissante (1916) où la subtilité des couleurs aquarellées le dispute à la graphie des lettres, ne pas rester émerveillé devant La Chapelle
( 1917), aquarelle sur détrempe blanche, à la construction si complexe et aux profondeurs troublantes, ne pas être littéralement absorbé par les bleus « magnétiques » et la naïve irréalité de Paysage du passé (1918) ; on peut aussi se confronter à la dualité de Avant l’Eclair (1923) où la force antagoniste des flèches s’inscrit dans un lent travail de quadrillage et mise en couleurs, avant de plonger dans les
huiles pointillistes du début des années 30, en écho à l’écriture musicale de Bach, Une Etoile se lève (1931), et de découvrir les œuvres de plus en plus sombres de la dernière décennie. Après l’Inondation (1936) aux signes noirs formant grillage, Sorcières dans la Forêt, dernière acquisition d’Ernst Beyeler,
aux rouges enflammés et au dessin faussement naïf, Un Porche (1939) symphonie de gris et blancs ouvrant à l’au-delà, on reste bouche bée devant Captif (1940) œuvre testamentaire de Klee, inachevée, un œil tourné vers l’intériorité, l’autre toujours présent au monde.
La scénographie proposée est des plus intelligentes car discrète, les textes aussi instructifs que lisibles, le tout étant agrémenté d’un très bon petit film à ne pas manquer.
Un seul regret : qu’il n’y ait pas un panneau explicatif des différentes techniques développées par Paul Klee tel que les « dessins timbrés à l’encre », « les substituts de détrempe », ou les « aquarelles avec décalque à l’huile sur papier et carton » comme dans la Machine/boîte à musique. On sait en effet, par ses écrits, que Paul Klee attachait la plus grande importance à l’élaboration de nouveaux moyens techniques d’expression, et, en cela, il était bien un homme du Bauhaus !
Et, cerise sur le gâteau, à la sortie, après vous être plongé dans les différents ouvrages proposés sur Paul Klee et Ernest Beyeler, portez votre attention sur un non moins remarquable ouvrage sur le Bauhaus de Boris Friedewald, aux éditions Prestel…en anglais, mais fort bien illustré. Voilà, peut-être la meilleure manière de pénétrer dans l’univers de Paul Klee !
A noter, également, l’excellente vidéo produite par Arte, Paul Klee, le Silence de l’ange de Michel Gaumnitz
Informations pratiques :
Dates de l’exposition : 14 avril au 19 juillet 2010
Lieu : Musée National de l’Orangerie, jardin des Tuileries, Paris 1er
Téléphone : 01 44 77 80 07
Heures d’ouverture : tous les jours, de 9h à 18h, sauf le mardi
Adresse du site : www.musee-orangerie.fr : vous y découvrirez dates et heures des visites-conférences et ateliers pour enfants.
A découvrir de même :
La Fondation Beyeler, à Riehen/Bâle. Téléphone : +41 (0)61 645 97 00. Informations : +41 (0) 61 645 97 77
Le Zentrum Paul Klee, musée totalement dédié par la Fondation Klee à l’œuvre de Paul Klee, à Berne. Téléphone : +41 (0)31 359 01 01